Panique au Québec face à la menace de l’immigration

Si le plus grand média privé du Canada anglais lançait une campagne à grande échelle, sans retenue, avertissant que le pays risque d’être « noyé » par des vagues massives d’immigrants (avec des représentations caricaturales de ces vagues), il y aurait, je n’en doute pas, une réaction massive contre lui pour avoir fait preuve de xénophobie, d’alarmisme, voire de racisme.

Mais au Québec, comme nous le savons, les choses sont différentes. Ainsi, lorsque le plus grand groupe de presse de la province (Quebecor) lance une telle campagne dans son journal phare (Le Journal de Montréal), il n’y a pas de réaction en chaîne.

Au contraire, le premier ministre reconnaît que la menace est réelle. L’Assemblée nationale adopte une motion unanime condamnant les plans fédéraux d’augmentation de l’immigration. Des chroniqueurs d’autres journaux se joignent au mouvement.

Le Canada anglais avait l’habitude de suivre de près les courants politiques au Québec, à l’époque où la province brandissait son fameux « couteau sous la gorge » sous la forme d’une menace crédible de séparation. Mais la menace s’est éloignée depuis longtemps, les nouvelles du Québec sont jugées beaucoup moins dignes d’intérêt, et la dernière crise de panique collective au sein de la classe politique de la province a donc mis un peu de temps à se faire sentir dans nos contrées.

Et quelle crise de panique ! Le week-end dernier, le tabloïd Journal (le journal le plus vendu au Québec) a donné le coup d’envoi en publiant un article de huit pages intitulé « Le Québec pris au piège ».

L’essentiel de cet énorme « dossier » est que le gouvernement Trudeau, avec Dominic Barton du célèbre cabinet de conseil McKinsey qui tire les ficelles en arrière-plan, a augmenté l’immigration au Canada dans le but de porter la population du pays à 100 millions d’habitants d’ici l’an 2100.

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En conséquence, selon le document, le Québec sera confronté à deux choix mortels. Soit accepter des millions d’immigrants qui ne « s’intégreront pas culturellement », de sorte que « le peuple québécois sera noyé démographiquement ». Ou bien voir sa population diminuer par rapport à celle du Canada anglais, au point que le Québec sera « condamné à l’insignifiance politique ».

C’est l’argument de base, et il est logique. Mais il faut vraiment lire ce texte pour en saisir tout l’effet émotionnel et politique.

La chroniqueuse Denise Bombardier, par exemple : « Descendons dans les rues des villes et villages du Québec pour sauver notre honneur et clamer haut et fort notre volonté de vivre dans le respect de notre identité collective, qui est en train de se diluer… d’être anéantie. » Ou encore les nombreuses comparaisons entre les objectifs d’Ottawa en matière d’immigration et le tristement célèbre (au Québec) rapport de Lord Durham qui, en 1839, recommandait d’assimiler les Canadiens français à la nouvelle réalité britannique du Canada.

Comme je l’ai dit, il y a une logique ici. Le gouvernement fédéral est augmente les objectifs d’immigration (jusqu’à 500 000 d’ici 2025). Le Québec est confronté à des choix. S’il accepte davantage d’immigrants, son « identité » historique sera remise en question (l’immigration fait cela partout). S’il refuse l’immigration, il se réduira par rapport aux autres provinces.

Pour les séparatistes (comme les chroniqueurs du Journal), la réponse est bien sûr la séparation. Ils considèrent que la menace réelle ou imaginaire d’une immigration à grande échelle leur permet de raviver ce débat longtemps inactif. Ils y parviendront peut-être, et le Canada anglais doit se préparer à cette éventualité.

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La réponse la plus réaliste est que le Québec – comme toute autre société – va devoir trouver des moyens de changer sans avoir un effondrement existentiel. Il pourrait commencer par clarifier dans son esprit collectif ce qu’est réellement son identité fondamentale. Est-ce la langue française ? Ou s’agit-il de quelque chose de plus profond, de plus culturel, de plus lié à la majorité historique canadienne-française ?

La question est d’autant plus pertinente que le Québec a du mal à accepter les immigrants francophones comme ceux d’autres langues. J’ai été frappé par un article paru dans La Presse la même fin de semaine que le dossier du Journal, selon lequel il est plus facile pour les francophones d’être acceptés comme immigrants au Canada anglais qu’au Québec.

Selon ces immigrants, il est très difficile de se qualifier au Québec. Ainsi, le journal a parlé d’un Marocain qui s’est installé à Halifax et d’un francophone du Togo qui s’est retrouvé dans les Territoires du Nord-Ouest.

Le Québec se tire une balle dans le pied en repoussant ces nouveaux arrivants. Il doit s’adapter, et non se réfugier dans des fantasmes – ou des cauchemars – collectivistes.

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